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Didier Ayres reviews « Le dernier cerisier » in La Cause littéraire

The critic Didier Ayres reviews Le dernier cerisier (Éditions Voix d’encre) in La Cause littéraire:

L’arbre

Le Dernier cerisier de John Taylor présente divers intérêts. D’une part, parce que ces poèmes courts – et en un sens de nature orientale, dans la mesure où l’art japonais par exemple ne travaille pas sur le motif, mais le réinvente à partir d’une observation préalable – ont cette qualité de simplicité d’expression, celle d’une littérature dense et légère. Du reste, que ce livre s’accompagne d’aquarelles [par Caroline François-Rubino] – qui m’ont laissé l’impression de fluidité, avec parfois la rudesse de traits charbonneux – n’est pas indifférent à la relation que j’ai eue au poème. Ce recueil est à la fois gazeux, éthéré et paradoxalement tendu par des images obsessionnelles : celles d’un arbre. Un cerisier qui se décrit et se déconstruit comme dans le très fameux travail autour de l’arbre de Piet Mondrian, lequel est passé d’un pommier, à des formes régulières de carrés de couleurs primaires.

Cela dit, il faut parler de plus près de la structure du texte [traduit par Françoise Daviet-Taylor]. Il est écrit sans ponctuation, ce qui engage physiquement sur le terrain de la fluidité, si je puis dire. La transparence de l’expression s’en trouve renforcée. Ensuite, le texte ne comporte pas de majuscule, ce qui pour moi signifie que les termes du poème sont à égalité, comme il n’y a pas d’ombres portées sur les estampes japonaises, où tout est traité en aplat, sans relief. Et pour finir, le livre n’est pas ponctué. On flotte comme en une danse, et on respire au gré des poèmes. Est-ce l’illustration de la danse, forme de la pensée chez Nietzsche ?

non pas de la matière

mais nos vies

montent

doivent descendre

un filet d’eau par terre

ou parmi les pierres

ou est-ce de l’eau de pluie

s’égouttant sur d’anciens chemins

pour nourrir le cerisier

que tu imagines tout en bas de la pente

à la fin

et au commencement

où que tu sois

est ton pays natal

Et que cela soit le temps qui passe, ou l’attrait pour l’hiver et son dépouillement, tout tourne autour de ce cerisier, cet arbre totem, qui correspond sans doute aux cultures totémiques des peuples natifs d’Amérique du Nord. Au reste, j’ai pensé aussi à cet arbre foudroyé que le peintre hongrois Alexandre Hollan ne cesse de représenter. Il est aussi intéressant de savoir que Yves Bonnefoy a manifesté de l’intérêt pour cette obsession du chêne foudroyé du jardin du peintre. On peut aussi rapporter cette beauté végétale, du travail photographique de Frank Horvat, qui a consacré une part de sa vie de créateur à chercher des arbres et des points de vue originaux très simples d’apparence, mais très chargés, très intenses.

Revenons à notre livre et citons un peu quelques lignes, susceptibles de faire comprendre mon propos :

laisse le cerisier s’effacer

laisse la terre s’effacer

sur laquelle tu as marché

alourdi de noms

de pelouses de jardins secrets

que tu as laissés derrière toi

et d’un cerisier

tu as été alourdi

mais l’échelle sous ton bras

ne pesait rien

Il faut bien entendu poursuivre la lecture au-delà du cerisier, ou tout au moins vers la deuxième partie de l’ouvrage, et qui sait ? vers d’autres livres du poète américain qui a choisi de vivre en France depuis 1977.

Didier Ayres

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