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Hommage de John Taylor à Philippe Jaccottet sur le site Poezibao

John Taylor a écrit cet hommage à Philippe Jaccottet pour le site Poezibao:

Aux fleurs des champs

« Approchées, même pas dans la réalité de telle journée de mars, rien que dans la rêverie, [les pivoines] vous précèdent, elles poussent des portes de feuilles, de presque invisibles barrières. . » (« Les pivoines », Après beaucoup d’années)

Les fleurs sauvages que l’on découvre dans les alpages, j’aime les chercher, les regarder depuis des décennies. Des gentianes d’un bleu profond au bord d’un chemin si haut que la végétation prend fin. Des linaigrettes sous une pluie fine, sur un marécage alpin…

Tout cela, bien avant de découvrir l’œuvre de Philippe Jaccottet et de la traduire.

Puis ses poèmes et surtout ses textes en prose à partir du Cahier de verdure m’ont aidé à approfondir cette fascination. Il y a d’un coup devant moi une achillée musquée d’à peine dix centimètres de haut ; je ne l’ai jamais remarquée. Il y a un silène enflé avec ses minuscules lunes, ou sont-elles plutôt des petits baluchons ? Il y a une mousse dont on ne sait le nom. . . Elle est sans doute la plus mystérieuse.

Tant de « choses vues » (comme il disait) — un rouge-gorge, une nuance de couleur. . . En chemin, je pense à lui chaque fois avec gratitude.

On s’arrête, sans savoir pourquoi. Il y a comme un appel, mais déjà ce mot est probablement trop fort : il vient trop vite. On s’arrête. Il n’y a désormais qu’en esprit que je puisse avancer vers ce trèfle ou cette grande astrance, mais je pense que je devrais dire plutôt en « sensibilité ». Ou quelque autre mot. Je referme mon carnet de poche. En essayant de formuler ce qui nous semble se produire en nous, au dehors de nous, déjà nous pouvons reculer d’un pas ou de plusieurs pas. Puis on avance de nouveau. Il y a comme une éphémère certitude que nous avons vécu cette expérience pleinement, que nous avons vu cette petite chose belle et ordinaire, que nous avons soudainement et très brièvement habité l’être, d’une autre façon. Cette expérience est-elle « métaphysique » ? Je ne sais.

Grâce à Philippe Jaccottet, grâce à ses livres que j’ai traduits et à tous les autres que j’ai lus et relus, j’ai gagné en confiance face à ce manque de confiance, à cette plénitude de doutes qui peuvent aller jusqu’à nous écraser devant l’énigme du monde. Car ces questionnements qui ont été les siens, ces doutes qu’il affrontait probablement avec une douleur qu’il cherchait à maîtriser parfois avec difficulté (il y est parvenu), constituent l’essence de notre condition devant tant de seuils : un lichen, une scabieuse et puis la mort. Ses écrits montrent comment inverser nos hésitations, nos tremblements, notre détresse en sources bénéfiques, dignes et ouvertes de nouveau telle une fleur après la nuit, après les gelées du petit matin.

« Je recommence, parce que ça a recommencé : l’émerveillement, la perplexité ; la gratitude, aussi. » (« Aux liserons des champs », Et, néanmoins)

John Taylor, traducteur de Philippe Jaccottet en anglais

Pour la version anglaise, cliquez ici.

 

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